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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sein du mari et de la femme par la liberté et la religion.

Lundi 27, au matin, l’opposition vint m’apprendre que je ne verrais point le jeune prince : M. de Damas avait fatigué son élève en le traînant d’église en église aux stations du Jubilé. Cette lassitude servait de prétexte à un congé et motivait une course à la campagne : on me voulait cacher l’enfant.

J’employai la matinée à courir la ville. À cinq heures j’allai dîner chez le comte de Choteck.

La maison du comte de Choteck, bâtie par son père (qui fut aussi grand burgrave de Bohême), présente extérieurement la forme d’une chapelle gothique : rien n’est original aujourd’hui, tout est copie. Du salon, on a une vue sur les jardins ; ils descendent en pente dans une vallée : toujours lumière fade, sol grisâtre, comme dans ces fonds anguleux des montagnes du Nord, où la nature décharnée porte la haire.

Le couvert était mis dans le pleasure-ground, sous des arbres. Nous dînâmes sans chapeau : ma tête, que tant d’orages insultèrent en emportant ma chevelure, était sensible au souffle du vent. Tandis que je m’efforçais d’être présent au repas, je ne pouvais m’empêcher de regarder les oiseaux et les nuages qui volaient au-dessus du festin ; passagers embarqués sur les brises et qui ont des relations secrètes avec mes destinées ; voyageurs, objets de mon envie et dont mes yeux ne peuvent suivre la course aérienne sans une sorte d’attendrissement. J’étais plus en société avec ces parasites errants dans le ciel qu’avec les convives assis auprès de moi sur la terre : heu-