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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cachet pour l’amour d’eux. Le mystère de ce présent, l’ordre des deux enfants exilés de ne me remettre le témoignage de leur souvenir que sur terre de France, remplirent mes yeux de larmes. Le cachet ne me quittera jamais ; je le porterai pour l’amour de Louise et de Henri.

J’eusse aimé à voir à Metz la maison de Fabert[1], soldat devenu maréchal de France, et qui refusa le collier des ordres, sa noblesse ne remontant qu’à son épée.

Les Barbares nos pères égorgèrent, à Metz, les Romains surpris au milieu des débauches d’une fête ; nos soldats ont valsé au monastère d’Alcobaça avec le squelette d’Inès de Castro : malheurs et plaisirs, crimes et folies, quatorze siècles vous séparent, et vous êtes aussi complètement passés les uns que les autres. L’éternité commencée tout à l’heure est aussi ancienne que l’éternité datée de la première mort, du meurtre d’Abel. Néanmoins les hommes, durant leur apparition éphémère sur ce globe, se persuadent qu’ils laissent d’eux quelque trace : eh ! bon Dieu, oui, chaque mouche a son ombre.

Parti de Metz, j’ai traversé Verdun où je fus si malheureux, où demeure aujourd’hui l’amie solitaire de Carrel[2]. J’ai côtoyé les hauteurs de Valmy ; je n’en

  1. Abraham Fabert, né en 1599 à Metz, où son père était imprimeur. Il reçut le bâton de maréchal de France en 1658 et mourut en 1663.
  2. Au mois d’août 1830, Armand Carrel fut nommé préfet du Cantal : il refusa. « Des circonstances de sa vie intérieure, que chacun savait alors, dit Sainte-Beuve (Causeries du lundi, t. VI, p. 93), et que ses amis, arrivés au pouvoir auraient dû apprécier, le détournaient, impérieusement, d’accepter des fonctions publiques en province. » Dans ses Indiscrétions contempo-