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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/217

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

allure, la lettre qui devait me casser le cou. Je le savais très bien ; j’en pesais très bien les résultats : peu importait. Aujourd’hui même que la chose est faite, je suis ravi d’avoir envoyé le tout au diable et jeté mon gouvernat par une aussi large fenêtre. On me dira : « Ne pouviez-vous exprimer les mêmes vérités en les énonçant avec moins de crudité ? » Oui, oui, en délayant, tournoyant, emmiellant, chevrotant, tremblotant :

… Son œil pénitent ne pleure qu’eau bénite[1].

Je ne sais pas cela.

Voici la lettre (abrégée cependant de près de moitié) qui fera hérisser le poil de nos diplomates de salon. Le duc de Choiseul avait eu un peu de mon humeur ; aussi a-t-il passé la fin de sa fin à Chanteloup.

Paris, rue d’Enfer, 30 juin 1833.
« Madame,

« Les moments les plus précieux de ma longue carrière sont ceux que madame la dauphine m’a permis de passer auprès d’elle. C’est dans une obscure maison de Carlsbad qu’une princesse, objet de la vénération universelle, a daigné me parler avec confiance. Au fond de son âme le ciel a déposé un trésor de magnanimité et de religion que les prodigalités du malheur n’ont pu tarir. J’avais devant moi la fille de Louis XVI de nouveau exilée ; cette orpheline du Temple, que le roi martyr avait pressée sur son cœur avant d’aller cueillir la palme ! Dieu est le

  1. Mathurin Régnier, dans le portrait de Macette.