Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
205
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avec ses distinctions, par la royauté avec ses prestiges, je vous tromperais. La légitimité en France n’est plus un sentiment ; elle est un principe en tant qu’elle garantit les propriétés et les intérêts, les droits et les libertés ; mais s’il demeurait prouvé qu’elle ne veut pas défendre ou qu’elle est impuissante à protéger ces propriétés et ces intérêts, ces droits et ces libertés, elle cesserait même d’être un principe. Lorsqu’on avance que la légitimité arrivera forcément, qu’on ne saurait se passer d’elle, qu’il suffit d’attendre, pour que la France à genoux vienne lui crier merci, on avance une erreur. La Restauration peut ne reparaître jamais ou ne durer qu’un moment, si la légitimité cherche sa force là où elle n’est plus.

« Oui, madame, je le dis avec douleur, Henri V pourrait rester un prince étranger et banni ; jeune et nouvelle ruine d’un antique édifice déjà tombé, mais enfin une ruine. Nous autres, vieux serviteurs de la légitimité, nous aurons bientôt dépensé le petit fonds d’années qui nous reste, nous reposerons incessamment dans notre tombe, endormis avec nos vieilles idées, comme les anciens chevaliers avec leurs anciennes armures que la rouille et le temps ont rongées, armures qui ne se modèlent plus sur la taille et ne s’adaptent plus aux usages des vivants.

« Tout ce qui militait en 1789 pour le maintien de l’ancien régime, religion, lois, mœurs, usages, propriétés, classes, privilèges, corporations, n’existe plus. Une fermentation générale se manifeste ; l’Europe n’est guère plus en sûreté que nous ; nulle so-