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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ficence des marbres éclate de toute part, des rinceaux charmants attestent le fini de l’ancienne sculpture vénitienne. Sur un des carreaux du pavé de la nef on lit ces mots : « Ici repose le Titien, émule de Zeuxis et d’Apelles. » Cette pierre est en face d’un des chefs-d’œuvre du peintre.

Canova a son fastueux sépulcre non loin de la dalle titienne ; ce sépulcre est la répétition du monument que le sculpteur avait imaginé pour le Titien lui-même, et qu’il exécuta depuis pour l’archiduchesse Marie-Christine. Les restes de l’auteur de l’Hébé et de la Madeleine ne sont pas tous réunis dans cette œuvre : ainsi Canova habite la représentation d’une tombe faite par lui, non pour lui, laquelle tombe n’est que son demi-cénotaphe.

Des Frari, je me suis rendu à la galerie Manfrini. Le portrait de l’Arioste est vivant. Le Titien a peint sa mère, vieille matrone du peuple, crasseuse et laide : l’orgueil de l’artiste se fait sentir dans l’exagération des années et des misères de cette femme.

À l’Académie des Beaux-Arts[1], j’ai couru vite au tableau de l’Assomption, découverte du comte Cicognara[2] : dix grandes figures d’hommes au bas du

    généraux illustres de la République : Melchior Trévisan, Alméric d’Este, Benoît Pesaro, Paul Savelli, François Carmagnola. Et à côté des généraux, les doges : François Dandolo, Nicolas Tron, François Foscari, Jean Pesaro.

  1. C’est le musée de l’école vénitienne. L’Académie des Beaux-Arts fut fondée en 1807. Le comte Leopoldo Cicognara y réunit les plus beaux ouvrages des maîtres de Venise, qui étaient dispersés dans des églises obscures, ou qui provenaient de couvents supprimés.
  2. L’Assomption du Titien est un des chefs-d’œuvre de la peinture. Cet admirable tableau fut, en effet, découvert, par