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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/267

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

papillons voltigeaient sur des fleurs de mauves entrelacées aux ossements, image de l’âme sous ce ciel qui tient de celui où fut inventée l’histoire de Psyché. Un crâne avait encore quelques cheveux de la couleur des miens. Pauvre vieux gondolier ! as-tu du moins conduit ta barque mieux que je n’ai conduit la mienne ?

Une fosse commune reste ouverte dans l’enclos ; on venait d’y descendre un médecin auprès de ses anciennes pratiques. Son cercueil noir n’était chargé de terre qu’en dessus, et son flanc nu attendait le flanc d’un autre mort pour le réchauffer. Antonio avait fourré là sa femme depuis une quinzaine de jours, et c’était le médecin défunt qui l’avait expédiée : Antonio bénissait un Dieu rémunérateur et vengeur, et prenait son mal en patience. Les cercueils des particuliers sont conduits à ce lugubre bazar dans des gondoles particulières et suivis d’un prêtre dans une autre gondole. Comme les gondoles ressemblent à des bières, elles conviennent à la cérémonie. Une nacelle plus grande, omnibus du Cocyte, fait le service des hôpitaux. Ainsi se trouvent renouvelés les enterrements de l’Égypte et les fables de Caron et de sa barque.

Dans le cimetière du côté de Venise s’élève une chapelle octogone consacrée à saint Christophe. Ce saint, chargeant un enfant sur ses épaules au gué d’une rivière, le trouva lourd : or, l’enfant était le fils de Marie qui tient le globe dans sa main ; le tableau de l’autel représente cette belle aventure.

Et moi aussi j’ai voulu porter un enfant roi, mais je ne m’étais pas aperçu qu’il dormait dans son ber-