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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui disait : Ho desiderio di Napoli, come l’amme ben disposte, del paradiso : « J’ai désir de Naples, comme les âmes bien disposées ont désir du paradis. »

J’étais dans l’opposition et en disgrâce ; les ordonnances se mitonnaient clandestinement au château et reposaient encore en joie et en secret au fond des cœurs : un jour la duchesse de Berry aperçut une gravure représentant le chantre de la Jérusalem aux barreaux de sa loge : « J’espère, dit-elle, que nous verrons bientôt comme cela Chateaubriand. » Paroles de prospérité, dont il ne faut pas plus tenir compte que d’un propos échappé dans l’ivresse. Je devais rejoindre Madame au cachot même du Tasse, après avoir subi pour elle les prisons de la police. Quelle élévation de sentiments dans la noble princesse, quelle marque d’estime elle m’a donnée en s’adressant à moi à l’heure de son infortune, après le souhait qu’elle avait formé ! Si son premier vœu élevait trop haut mes talents, sa confiance s’est moins trompée sur mon caractère.

Ferrare, 18 septembre 1833.

M. de Saint-Priest[1], madame de Saint-Priest et

  1. Saint-Priest (Emmanuel-Louis-Marie Guignard, vicomte de), né à Paris le 6 décembre 1789, mort au château de Lamotte (Hérault), le 27 octobre 1881. Il suivit sa famille à Saint-Pétersbourg lors de l’émigration, et en 1805 entra dans l’armée russe où il servit jusqu’à la chute de Napoléon. Colonel en 1814, il fut fait prisonnier ; l’ordre de le fusiller, envoyé par l’Empereur fut intercepté par les Cosaques. Il s’échappa, servit avec ardeur la cause du gouvernement royal, tenta pendant les Cent-Jours de soulever les populations du Midi, s’embarqua à Marseille à la nouvelle de la capitulation de la Pallud, fut pris par un corsaire de Tunis, et, après quelques semaines de captivité, put gagner l’Espagne et rentrer à la seconde Restauration. Il fut alors