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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

j’entends la voix, est la seule garde du prince : Cerbère aboie ainsi aux ombres dans les régions de la mort, du silence et de la nuit.

Je n’ai jamais pu revoir dans ma longue vie mes foyers paternels ; je n’ai pu me fixer à Rome, où je désirais tant mourir ; les huit cents lieues que j’achève, y compris mon premier voyage en Bohême, m’auraient mené aux plus beaux sites de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne. J’ai dévoré ce chemin et j’ai dépensé mes derniers jours pour revenir sur cette terre froide et grise : qu’ai-je donc fait au ciel ?

J’entrai dans Prague le 29 à quatre heures du soir. Je descendis à l’hôtel des Bains. Je ne vis point la jeune servante saxonne ; elle était retournée à Dresde consoler par des chants d’Italie les tableaux exilés de Raphaël.

Du 29 septembre au 6 octobre 1833.

À Schlau, à minuit, devant l’hôtel de la poste, une voiture changeait de chevaux. Entendant parler français j’avançai la tête hors de ma calèche et je dis : « Messieurs, vous allez à Prague ? Vous n’y trouverez plus Charles X, il est parti avec Henri V. » Je me nommai. « Comment, parti ? s’écrièrent ensemble plusieurs voix. En avant, postillon ! en avant ! ».

Mes huit compatriotes, arrêtés d’abord à Égra, avaient obtenu la permission de continuer leur route, mais à la garde d’un officier de police. Elle est curieuse ma rencontre, en 1833, d’un convoi de serviteurs du trône et de l’autel, dépêché par la légitimité française, sous l’escorte d’un sergent de ville ! En 1822, j’avais vu passer à Vérone des cagées de carbo-