Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/432

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
416
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

manière coquette ; il m’écrivait à Gand, comme on l’a vu, que j’étais un homme fort ; quand j’étais logé à l’hôtel de la rue des Capucines, il m’envoya, avec une parfaite galanterie, un cachet des affaires étrangères, talisman gravé sans doute sous sa constellation. C’est peut-être parce que je n’abusai pas de sa générosité qu’il devint mon ennemi sans provocation de ma part, si ce n’est quelques succès que j’obtins et qui n’étaient pas son ouvrage. Ses propos couraient le monde et ne m’offensaient pas, car M. de Talleyrand ne pouvait offenser personne ; mais son intempérance de langage m’a délié, et puisqu’il s’est permis de me juger, il m’a rendu la liberté d’user du même droit à son égard.

La vanité de M. de Talleyrand le pipa ; il prit son rôle pour son génie ; il se crut prophète en se trompant sur tout ; son autorité n’avait aucune valeur en matière d’avenir ; il ne voyait point en avant, il ne voyait qu’en arrière. Dépourvu de la force du coup d’œil et de la lumière de la conscience, il ne découvrait rien comme l’intelligence supérieure, il n’appréciait rien comme la probité. Il tirait bon parti des accidents de la fortune, quand ces accidents, qu’il n’avait jamais prévus, étaient arrivés, mais uniquement

    été autrefois attaché. Il tenait le prince de Talleyrand pour le principal auteur des poursuites dont il avait été l’objet, à l’occasion de ce rapt de diamants. Le 20 janvier 1827, échappant à la surveillance de la police, il s’était rendu à Saint-Denis pendant la célébration de l’anniversaire de la mort de Louis XVI, et là, en pleine solennité, il avait frappé M. de Talleyrand au visage et l’avait renversé par terre. Traduit, pour ce fait, en police correctionnelle, il fut condamné ; mais l’affaire fit un bruit terrible, que ne manquèrent pas de grossir encore les innombrables ennemis de Talleyrand.