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VIE DE RANCÉ

on n’entend plus à travers le brouillard retentir cette cloche nommée à Aubrac la cloche des Perdus, qui rappelle les errants, errantes revoca. Mœurs d’autrefois, vous ne renaîtrez pas ; et si vous renaissiez, retrouveriez-vous le charme dont vous a parées votre poussière ?

Il existe des procès-verbaux connus dans l’ordre des Bénédictins sous le nom de cartes de visite, c’est-à-dire cartes d’inspection : la carte de visite pour l’année 1685 est signée de dom Dominique, abbé du Val-Richer. Elle décrit l’état de la Trappe avant la réforme de Rancé : les portes demeuraient ouvertes le jour et la nuit, et les hommes comme les femmes entraient librement dans le cloître. Le vestibule de l’entrée était si noir qu’il ressemblait beaucoup plus à une prison qu’à une Maison-Dieu. Ici il y avait une échelle attachée contre la muraille ; elle servait à monter aux étages dont les planchers étaient rompus et pourris ; on n’y marchait pas sans péril. En entrant dans le cloître, on voyait un toit devenu concave qui à la moindre pluie se remplissait d’eau ; les colonnes qui lui servaient d’appui étaient courbées : les parloirs servaient d’écuries.

Le réfectoire n’en avait plus que le nom. Les moines et les séculiers s’y assemblaient pour jouer à