Page:Chateaubriand - Vie de Rancé, 2è édition, 1844.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
VIE DE RANCÉ

moines fut flagellé par eux après sa mort. Abailard, qui tenta en Bretagne d’user de sévérité, se vit exposé au poison : « J’habite un pays barbare, disait-il, dont la langue m’est inconnue ; mes promenades sont les bords d’une mer agitée, et mes moines ne sont connus que par leur débauche. » Tout a changé en Bretagne, hors les vagues qui changent toujours.

Rancé courut de semblables dangers : aussitôt qu’il eut parlé de réforme, on parla de le poignarder, de l’empoisonner, ou de le jeter dans les étangs. Un gentilhomme du voisinage, M. de Saint-Louis, accourut à son secours : M. de Saint-Louis avait passé sa vie à la guerre ; le roi l’estimait, M. de Turenne l’aimait. Selon Saint-Simon, « c’était un vrai guerrier, sans lettres aucunes, avec peu d’esprit, mais un sens le plus droit et le plus juste que j’aie vu à personne, un excellent cœur et une droiture, une franchise et une fidélité admirables[1]. » Rancé refusa la généreuse assistance, disant que les apôtres avaient établi l’Évangile malgré les puissances de la terre, et qu’après tout le plus grand bonheur était de mourir pour la justice.

  1. Saint-Simon, t. V, p. 131.