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VIE DE RANCÉ

souffraient de douleurs qui ne se décelaient par aucune marque apparente, à ceux-là il s’attachait. Il n’opérait point à l’aide de miracles ; il ne faisait point entendre les sourds et les aveugles voir ; mais il soulageait les maladies de l’âme et jetait les esprits dans l’étonnement en apaisant les tempêtes invisibles. Variant ses instructions suivant le caractère de chaque cénobite, Rancé s’étudiait à suivre en eux l’attrait du ciel. Un mot de sa bouche leur rendait la paix. Des solitaires qui ne l’avaient jamais connu trouvèrent dans la suite, à sa sépulture, la guérison de leurs peines ; la bénédiction du ciel continuait sur sa tombe : Dieu garde les os de ses serviteurs.

L’hospitalité changea de nature ; elle devint purement évangélique : on ne demanda plus aux étrangers qui ils étaient ni d’où ils venaient ; ils entraient inconnus à l’hospice et en sortaient inconnus, il leur suffisait d’être hommes ; l’égalité primitive était remise en honneur. Le moine jeûnait tandis que l’hôte était pourvu ; il n’y avait de commun entre eux que le silence. Rancé nourrissait par semaine jusqu’à quatre mille cinq cents nécessiteux. Il était persuadé que ses moines n’avaient droit aux revenus du couvent qu’en qualité de pauvres. Il assistait des malades honteux