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LIVRE QUATRIÈME

on a vu que je ne laissais pas de vivre ; on s’avise de dire que la vie de l’esprit est éteinte en moi ; que véritablement j’ai une âme, mais que je ne raisonne plus. » On le pressait de mitiger la discipline de La Trappe, il répondait par ces quatre mots des Macchabées : « Moriamur in simplicitate nostra. » On l’invitait à écrire les devoirs du chrétien, comme il avait écrit les devoirs de la vie monastique ; il en traça des pages, puis il s’arrêta, disant : « Il ne me reste que quelques instants à vivre ; le meilleur usage que j’en puisse faire, c’est de les passer dans le silence. »

Rancé habita trente-quatre ans le désert, ne fut rien, ne voulut rien être, ne se relâcha pas un moment du châtiment qu’il s’infligeait. Après cela put-il se débarrasser entièrement de sa nature ? Ne se retrouvait-il pas à chaque instant comme Dieu l’avait fait ? Son parti pris contre ses faiblesses a fait sa grandeur ; il avait composé de toutes ses faiblesses punies un faisceau de vertus. Selon l’historien de Saint-Luc, saint Bernard bâtit son édifice sur le fondement d’une grande innocence ; Rancé, sur les ruines de son innocence perdue, mais réparée.

Le rhumatisme, qui d’abord lui avait saisi la main gauche, se jeta sur la droite, dans laquelle