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LIVRE TROISIÈME

périté m’aurait gâté le cœur, j’aurais vécu dans le désordre. » Jacques, plus heureux que Marie Stuart, nous a laissé sa dépouille : Marie, voyant s’éloigner les côtes de Normandie, s’écriait : « Adieu, France, adieu ; je ne te reverrai plus ! » Le bourreau, en tranchant la tête à la reine d’Ecosse, lui enfonça d’un coup de hache sa coiffure dans la tête, comme un effroyable reproche à sa frivolité.

Au reste Rancé, tout vieux et tout malade qu’il était, ne déclinait jamais le combat, mais aussitôt qu’il avait repoussé un coup, il plongeait dans la pénitence : on n’entendait plus qu’une voix au fond des flots, comme ces sons de l’harmonica produits de l’eau et du cristal, qui font mal.

Tel fut Rancé. Cette vie ne satisfait pas, il y manque le printemps : l’aubépine a été brisée lorsque ses bouquets commençaient à paraître. Rancé s’était proposé de courir le monde pour chercher des aventures. Qu’eût-il trouvé ? Les félicités qu’il se forgeait à Véretz ? Non : ces félicités étaient dans son âme. Supposez que prenant l’existence pour une ironie du ciel et que, devançant les idées de son époque, il eût rejeté cette existence, son sang eût à peine humecté quelques brins de bruyère. Si, s’embarrassant peu de l’avenir, il eût préféré à