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VIE DE RANCÉ

elle aurait pu écrire l’histoire de Philippine-Hélène, si elle n’avait des malheurs moins romanesques à pleurer. Je n’étais pas, dans mon dernier voyage à Londres, reçu dans un grenier de Holborn par un de mes cousins émigrés, mais par l’héritier des siècles. Cet héritier se plaisait à me donner l’hospitalité dans les lieux où je l’avais longtemps attendu. Il se cachait derrière moi comme le soleil derrière des ruines. Le paravent déchiré qui me servait d’abri me semblait plus magnifique que les lambris de Versailles. Henri était mon dernier garde-malade : voilà les revenants-bons du malheur. Quand l’orphelin entrait, j’essayais de me lever ; je ne pouvais lui prouver autrement ma reconnaissance. À mon âge on n’a plus que les impuissances de la vie. Henri a rendu sacrées mes misères ; tout dépouillé qu’il est, il n’est pas sans autorité : chaque matin, je voyais une Anglaise passer le long de ma fenêtre ; elle s’arrêtait, elle fondait en larmes aussitôt qu’elle avait aperçu le jeune Bourbon : quel roi sur le trône aurait eu la puissance de faire couler de pareilles larmes ? Tels sont les sujets inconnus que donne l’adversité.

À peine retourné de Chambor, un courrier dépêché de Blois vint apprendre à Rancé la ma-