Page:Chatelain - Rayons et reflets.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille, — et se voyait présenter sur de la vaisselle d’or des mets exquis qui charmaient l’odorat et le goût, et qui étaient étalés sur une table ornée de vases de fleurs et de groupes de statues d’argent admirablement ciselées, servant de porte-flambeaux.

— Tout cela est fort beau, pensait-il, mais autrefois je mangeais avec plus d’appétit.

Sa femme s’enquit de lui si le dîner n’était pas de son goût qu’il ne touchait à rien de ce qui était servi.

— Si fait ! c’est assez bon ! répondit Tony ; seulement je pensais qu’il y avait ici quelque chose qui brillait par son absence…

— Quoi donc ! demanda-t-elle.

— Un bon somme à faire après dîner, répliqua Tony.

— Pourquoi Votre Altesse ne sonne-t-elle par pour cela ? dit un des courtisans, un aussi grand prince que Votre Altesse peut certainement demander, et qui plus est exiger, ce qui lui plaît ?

Règle générale : les courtisans n’ont existé de tout temps que pour conduire par leurs flatteries ou leurs conseils maladroits les meilleurs princes à leur ruine.

Le pourquoi du courtisan remit en mémoire à Tony que ce jour même était le dernier jour de l’année qu’il avait passé dans cet incroyable tohu-bohu de vie dissipée où le lendemain toutefois ressemblait si fort à la veille, on le bien-être acquis sans fatigue se dépensait sans plaisir, et saisissant sa sonnette : Par ma foi, je sonnerai, dit-il ; … puis, après s’être arrêté une seconde comme pour se demander à lui-même : Renouvellerai-je le bail pour toutes ces belles choses ?… Il sonna à coups redoublés, comme un possédé, en s’écriant : Du sommeil !… Du sommeil !… je veux du sommeil !… mon palais pour du sommeil !…

Le palais soudain s’annihila dans les airs ainsi que s’annihile une bulle de savon… banquet, femme, gentils-hommes de la chambre, courtisans, dames d’atour, tout