Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/170

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et elle a pris en main ce projet
que vous allez m’entendre raconter
350 et à tous elle parla exactement de cette façon :

« Nous devons d’abord feindre d’accepter le christianisme,
de l’eau froide ne nous peinera guère,
et je ferai telle fête et tel divertissement
que, par ma foi, je donnerai son dû au sultan,
car, si blanche que sa femme soit sortie du baptême,
elle aura grand’peine à laver la tache rouge,
quand elle apporterait pleins fonts d’eau avec elle. »

Ô sultane, racine d’iniquité,
virago, nouvelle Sémiramis,
360 ô serpent sous forme féminine[1],
pareille au serpent enchaîné au fond de l’enfer ;
ô femme dissimulée, tout ce qui peut confondre
l’innocence et la vertu, par ta méchanceté
est couvé en toi, nid de tous les vices !

Ô Satan, plein d’envie depuis le jour
où tu fus chassé de notre héritage,
tu connais bien la vieille voie d’accès auprès des femmes !
Tu as fait qu’Ève nous mena en servitude.
Tu veux rompre ce mariage chrétien.
370 C’est ainsi qu’hélas ! tu fais des femmes
ton instrument lorsque tu veux tromper.

La sultane que de la sorte je blâme et je maudis
laisse partir en secret ses conseillers.
Pourquoi m’attarderais-je à ce récit ?
Un jour elle va à cheval trouver le sultan
et lui dit qu’elle voudrait renier sa foi
et recevoir le christianisme des mains du prêtre,
se repentant d’avoir été païenne si longtemps.

Elle le supplie de lui faire cet honneur
380 qu’elle puisse recevoir les chrétiens à une fête :
« Je ferai effort pour leur plaire. »

  1. Vers 360 et 370-371. Il y a ici une allusion à la tradition d’après laquelle le Tentateur se présenta à Ève sous la forme d’un serpent avec un visage de femme.