Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/301

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Car c’est le mieux, je ne veux pas vous tromper.
Mais, messires, j’oubliais un mot dans mon histoire :
920j’ai des reliques et des pardons dans mon sac,
aussi beaux qu’homme d’Angleterre,
qui me furent donnés par la main du pape.
Si quelqu’un de vous, par dévotion,
veut faire offrande et avoir mon absolution,
qu’il avance aussitôt et s’agenouille ici
et humblement reçoive mon pardon ;
ou encore prenez des pardons en route,
tout neufs et tout frais, au sortir de chaque village,
pourvu que vous offriez toujours de nouveaux et de nouveaux
930nobles d’or et des sols qui soient bons et de poids.
C’est un honneur pour tous ceux qui sont ici
que d’avoir un pardonneur autorisé
pour vous absoudre, cependant que vous chevauchez par le pays,
dans les aventures qui peuvent vous arriver :
d’aventure un ou deux peuvent tomber
de cheval et se rompre le col.
Songez quelle sécurité c’est pour vous tous
que je sois tombé dans votre compagnie,
moi qui puis vous absoudre, grands et petits,
quand votre âme quittera le corps.
940Je conseille que notre hôte que voici commence,
car il est des plus enfoncés dans le péché.
Avance, messire hôte, et fais d’abord quelque offrande,
et tu baiseras les reliques, toutes et chacune ;
oui, pour un denier, desserre vite ta bourse. »
— « Non, non, (dit l’autre,) que plutôt Christ me maudisse !
Laisse, dit-il, je n’en ferai rien, parbleu !
Tu voudrais me faire baiser tes vieilles chausses,
et me jurer que c’est une relique de saint,
fussent-elles barbouillées par ton fondement !
950Mais, par la croix qu’a trouvée Sainte Hélène,
j’aimerais mieux avoir tes couilles dans ma main
au lieu de reliques et de saintetés ;
laisse-les moi couper, je t’aiderai à les porter ;
on les enchâssera dans un étron de porc. »
Le pardonneur ne répondit pas un mot ;
il était si en colère qu’il ne voulut dire mot.