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LES CONTES DE CANTERBURY.

    Advint que, en cette saison, un jour,
20à Southwark, au Tabard[1], comme je logeais
prêt à partir pour mon pèlerinage
à Canterbury, d’un cœur bien dévot,
le soir étaient venues en cette hôtellerie
bien vingt-neuf personnes, de compagnie ;
gens de diverses sortes, par aventure tombés
en société ; et pèlerins ils étaient tous,
qui vers Canterbury voulaient chevaucher ;
les chambres et les écuries étaient vastes,
et bien nous pûmes nous aiser pour le mieux.
30Et bref, quand le soleil fut couché,
ainsi avais-je causé avec chacun d’eux,
que je fus de leur compagnie tout de suite,
et nous convînmes* de nous lever matin
pour nous mettre en route, devers où je vous dis.

    Mais néanmoins, tant que j’ai temps et place,
avant que plus loin dans ce conte je ne passe,
il me paraît s’accorder avec la raison
de vous dire toute la condition
de chacun d’eux, telle qu’elle me parut être,
40et qui ils étaient, et de quel rang ;
et aussi dans quel équipage ils se trouvaient ;
et par un chevalier donc vais-je commencer.

    Il y avait un Chevalier, un vaillant homme, un preux*
qui depuis le temps où premier il commença
à chevaucher, avait aimé chevalerie,
vérité et honneur, générosité et courtoisie.
Sans reproche il s’était montré à la guerre de son seigneur,
et en outre il avait chevauché (nul homme plus avant)
aussi bien en chrétienté qu’en terre païenne,
50et toujours avait eu honneur de sa prouesse.
Il était à Alexandrie, quand elle fut prise[2] ;
maintes fois il avait siégé le premier de la table

  1. Southwark est un faubourg du vieux Londres, au sud de la Tamise, à la tête de la route du Kent, qui mène à Canterbury — Le « tabard » était une cotte d’armes à manches courtes, portée surtout par les hérauts. Au vers 541, le mot désigne une blouse* de paysan.
  2. Par Pierre de Lusignan, roi de Chypre, en 1365.