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CHARLES GUÉRIN.

— Moi, jamais ; pour une révolution, il faut un autre état de choses que le nôtre ; je t’ai parlé d’indépendance quelquefois ; c’est bien naturel. L’indépendance, surtout quand on est garçon et qu’on n’a que vingt ans… ça flatte toujours, d’y penser.

— Penses-y bien, mon vieux, tu n’en jouiras peut-être pas longtemps. T’imagines-tu que ta femme te permettra de t’habiller en étoffe du pays de la tête aux pieds. Il n’y a pas de demoiselle, comme il faut, qui ne s’évanouïrait rien qu’à te voir fait comme tu es là. Ma mère et ma sœur qui vivent à la campagne ont pleuré toute une nuit, parce que je voulais me faire faire un gilet et des pantalons d’une étoffe qu’elles avaient faite elles-mêmes.

— C’est que je me moquerai joliment de ma femme, quand il s’agira de mon pays !

— Oui-dà ! Je voudrais bien t’y voir. Je crois que M. Guérin a trouvé l’écueil où ton patriotisme fera naufrage.

— Je ferai mes conditions.

— Il n’y a rien de plus juste ; on dira comme toi, on sera patriote, tant que tu voudras. Quatre chaises de bois faites dans le pays, avec du bois du pays et de la paille du pays, on n’en demandera pas plus. Une chaumière et son cœur ! Comme c’est touchant ! Cependant, il faudra bien un piano, ne fût-ce que pour s’accompagner en chantant : À la claire fontaine. Voilà déjà un meuble qui court bien des risques de n’être pas du pays.

— Oh ! pour cela je n’y ai pas d’objection. J’excepte tout ce qui tient aux beaux-arts.

— Bon ! Voilà une fameuse brèche de faite. Les beaux-arts, ça mène loin, n’est-ce pas, M. Guérin ?

— Sans doute. Il faudra bien permettre à madame, de faire quelques tapisseries en laine.

— C’est cela, un tabouret pour le piano.