Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/212

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« Malheureuse, qu’as-tu fait ? Ce fou avait été placé sous ta garde, et il ne tenait qu’à toi de le défendre contre elle, de le soustraire aux obsessions de cette fille de l’enfer, de cette horrible idée fixe dont il était tourmenté. Mais tu ne sais pas aimer, et tu as eu peur. Tu as lâché ton prisonnier, tu as déserté ton poste et ta mission, tu es partie pour l’Italie avec je ne sais quel prince de rencontre, et, grâce à toi, elle a repris sa proie. O destinée à la fois tragique et ridicule ! Si Mlle Rose Perdrix avait eu la tête et le pied moins légers, un peu plus de cœur ou un peu plus de courage, le président Lincoln vivrait encore ! »

Elle ne m’écoutait point. Elle se dégagea, se remit à marcher à grands pas, transportée et comme possédée par son aventure et par sa gloire. Elle se trouvait mêlée à un grand événement, elle avait été aimée d’un homme dont l’exécrable mémoire vivra toujours. Son air de triomphe me parut souverainement déplaisant ; je lui dis d’un ton sardonique :

« Ma foi, ma belle, puisque vous voulez qu’on se mette à votre place, je vous le dis franchement, à votre place je ne serais pas si fière ; car enfin est-ce une chose bien réjouissante et bien glorieuse d’avoir été la maîtresse d’un homme qui a été pendu ? »