Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/122

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telle façon que la pointe de sa barbe menaçait le ciel, et il éclata de rire, d’un rire de barbare.

Même dans cette taverne peu sonore, où l’on n’entendait guère que le bruit des couteaux, des assiettes, des pots et des voix avinées, le rire homérique de Syme retentit si fort que plusieurs individus ivres à moitié se retournèrent.

— De quoi riez-vous, monsieur ? demanda un débardeur.

— De moi-même, répondit Syme, et il s’abandonna de nouveau à son accès de folle hilarité.

— Revenez à vous, conseilla le professeur, vous allez avoir une crise de nerfs ! Demandez encore de la bière. Je vais en faire autant.

— Vous n’avez pas bu votre lait, observa Syme.

— Mon lait ! fit l’autre avec un mépris insondable, mon lait ! Pensez-vous que je daigne jamais jeter un regard sur cette drogue quand ces maudits anarchistes ne me voient pas ? Nous sommes entre chrétiens, ici, quoique tous, continua-t-il en examinant la foule des consommateurs, ne soient pas de la plus stricte observance. Boire ce lait ! Dieu du ciel ! Attendez…

Et il fit tomber le verre, qui se brisa bruyamment en répandant le liquide argenté.

Syme le contemplait avec sympathie.

— Je comprends maintenant ! s’écria-t-il. Naturellement, vous n’êtes pas du tout un vieillard.

— Je ne puis ôter ma « figure » ici, répliqua le professeur : c’est une machine plutôt compli-