Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/124

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La figure du professeur s’assombrit ; il baissa les yeux.

— Eussions-nous été trois cents, dit-il, nous ne pouvions rien.

— Comment ? fit Syme interloqué, à trois cents contre quatre.

— Non, répondit le professeur, trois cents hommes ne pourraient venir à bout de Dimanche.

À ce seul nom, Syme redevint subitement grave. Le rire était mort dans son cœur avant d’expirer sur ses lèvres. Les traits de l’inoubliable Président se présentèrent à son imagination avec toute la netteté d’une photographie en couleurs. Et il remarqua cette différence entre Dimanche et ses satellites, que leurs visages, si féroces qu’ils fussent, s’étaient peu à peu estompés déjà dans sa mémoire, tandis que celui de Dimanche y restait présent avec l’inaltérable énergie de la réalité. Bien plus, l’absence semblait le rendre plus énergique et vivant encore. C’était comme un portrait qui s’éveillerait à la vie.

Ils restèrent silencieux pendant quelques instants. Puis Syme parla, et ce fut comme la mousse qui s’échappe d’une bouteille de champagne.

— Professeur ! s’écria-t-il, cela n’est pas tolérable ! Auriez-vous peur de cet homme ?

Le professeur leva ses lourdes paupières et appuya sur Syme le regard de ses yeux bleus, grands ouverts, où se lisait une franchise éthérée.

— Oui, dit-il doucement, et vous aussi.