Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/142

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muet comme une statue, dansaient pendant ce temps sur la table. Syme guetta les rapides mouvements de cette main éloquente et lut sans peine ce message :

— Je ne veux parler qu’ainsi ; il faut nous y habituer.

Il fit, de ses doigts, cette réponse, avec une hâte où s’avouait la satisfaction de se sentir soudainement délivré d’une chaude alarme :

— Fort bien, allons déjeuner.

Ils prirent en silence cannes et chapeaux. Syme ne put s’empêcher de crisper sa main sur sa canne à épée.

Ils ne s’arrêtèrent qu’un moment pour avaler quelques sandwiches et du café dans un bar, puis ils passèrent le fleuve, qui, dans la lumière désolée du matin, était aussi désolé que l’Achéron. Ils gagnèrent le grand corps de bâtiment qu’ils avaient vu, la veille, de l’autre côté de l’eau, et se mirent à gravir en silence les innombrables marches de pierre, s’arrêtant seulement de temps à autre pour échanger, sur la rampe de fer, de brèves observations.

Tous les deux paliers, une fenêtre leur permettait de voir le pénible lever d’une aube pâle et morne sur Londres. Les innombrables toits d’ardoise étaient comme les vagues d’une mer grise, troublée après une pluie abondante. Syme songeait que ce nouvel épisode où il s’engageait était, de tous ceux par lesquels il avait passé déjà, le pire.