Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/155

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voudrez, mais il faut que cet homme ait fait un pacte avec le diable : il est à la fois en six endroits différents !

— Si je vous comprends bien, dit le professeur, le marquis nous précède. Y a-t-il longtemps qu’il est parti ? Avons-nous quelque chance de le rattraper ?

— Oui. Je me suis arrangé pour cela. Il n’aura pas encore quitté Calais quand nous y arriverons.

— Mais, à Calais, que pourrons-nous faire ?

À cette question, pour la première fois, le docteur Bull resta décontenancé. Il réfléchit, puis :

— Il me semble, dit-il, que, théoriquement, nous devrions informer la police.

— Pas moi, protesta Syme. Théoriquement, je devrais plutôt me jeter à l’eau. J’ai juré à un pauvre diable, à un vrai pessimiste moderne de ne rien aller dire à la police. Peut-être ne suis-je pas un très subtil casuiste, mais il m’est impossible de trahir l’engagement que j’ai pris envers un pessimiste. Il serait aussi dégoûtant de manquer de parole à un enfant.

— Je suis embarqué sur le même bateau, dit le professeur. J’ai songé à avertir la police, et je n’ai pu le faire à cause d’un serment que j’ai sottement prêté. Quand j’étais acteur, je menais une vie de bâton de chaise. La trahison, le parjure est le seul crime que je n’aie pas commis. Si je m’y laissais entraîner, il me serait désormais impossible de percevoir aucune différence entre le bien et le mal.