Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— J’ai passé par là aussi, dit le docteur Bull, et ma décision est prise. J’ai fait une promesse au secrétaire… vous savez, l’homme au rictus. Cet homme, mes amis, est le plus malheureux des mortels. Je ne sais si cela lui vient de son estomac ou de sa conscience, de ses nerfs ou de sa philosophie, mais c’est un damné, il vit en enfer. Eh bien ! je ne puis me retourner contre cet homme et lui donner la chasse ; autant vaudrait fouetter un lépreux. Peut-être suis-je fou, mais telle est ma folie, et voilà tout.

— Je ne crois pas que vous soyez fou, assura Syme. Je savais que vous décideriez en ce sens, quand…

— Quand donc ? demanda Bull.

— Quand vous avez ôté vos lunettes.

Le docteur sourit, et traversa le pont pour regarder la mer ensoleillée. Puis, il revint auprès de ses compagnons de voyage, en frappant du talon avec insouciance et il se fit entre les trois un amical silence.

— Eh bien, dit Syme, il me semble que nous avons, tous les trois, le même genre de moralité ou d’immoralité. Nous n’avons donc qu’à envisager le résultat pratique de cette concordance.

— Oui, fit le professeur, vous avez raison. Les événements, du reste, vont se précipiter, car je vois déjà le cap Gris-Nez.

Syme reprit :

— Le résultat, c’est que nous sommes, tous les