Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/166

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de consulter les amis auxquels je vais confier mon honneur.

En trois grandes enjambées, il rejoignit le docteur et le professeur. Ceux-ci, qui avaient assisté à son agression inspirée par le champagne et entendu ses extravagantes explications, furent stupéfaits en le revoyant. Il était en effet tout à fait dégrisé, un peu pâle seulement, et il parlait à voix basse, avec passion et sans un mot de trop :

— C’est fait, leur dit-il d’une voix enrouée. J’ai provoqué la Bête. Écoutez. Écoutez-moi bien. Il n’y a pas de temps à perdre en discussions. Vous êtes mes témoins, et c’est à vous de prendre toutes les initiatives. Insistez, insistez sans en démordre, pour que le duel ait lieu demain matin, après sept heures. Ainsi, le marquis ne pourra prendre le train de sept heures quarante-cinq pour Paris. Manquer son train, pour lui, c’est manquer son crime. Il ne saurait refuser de s’entendre avec vous sur le léger détail concernant l’heure et l’endroit. Mais voici ce qu’il va faire. Il choisira un pré, quelque part, à proximité d’une gare où il puisse prendre le train aussitôt le combat fini. Il est bon tireur, il aura l’espoir de me tuer assez vite pour pouvoir sauter à temps dans son train. Mais je sais tenir une épée et je pense bien l’amuser assez longtemps, trop longtemps même, à son gré. Quand il aura manqué le train, peut-être aura-t-il la consolation de me tuer. Comprenez-vous ? Oui ? Alors, permettez-moi de vous présenter à deux gentlemen accomplis.