Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/172

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sentiment que, si, par quelque prodige, il échappait à la mort, il consentirait à rester, désormais, pour toujours, assis devant cet amandier, sans rien désirer de plus au monde.

Mais, tout en découvrant, dans le spectacle de la vie, cette émouvante beauté dont se parent les choses qu’on va perdre, sa raison gardait une netteté, une clarté cristalline, et il parait les coups de son ennemi avec une précision mécanique dont il se serait à peine jugé capable. Un moment, la pointe du marquis effleura le poignet de Syme, y laissant une légère trace de sang. La chose ne fut pas remarquée ou bien fut jugée négligeable. De temps en temps, il ripostait, et, une ou deux fois, il crut sentir sa pointe s’enfoncer. Il n’y avait pourtant point de sang à son épée, non plus qu’à la chemise du marquis. Syme pensa qu’il s’était trompé.

Il y eut un repos.

À la reprise, le combat prit tout à coup une nouvelle allure.

Cessant de regarder, comme il avait fait jusqu’alors, fixement devant lui, au risque de tout perdre, le marquis tourna la tête de côté, vers la ligne du chemin de fer, puis il revint à Syme et, transfiguré en démon, se mit à s’escrimer avec une telle ardeur qu’il semblait avoir à la main vingt épées. Ses attaques se succédaient si rapides, si furieuses, que sa lame se changeait en un faisceau de flèches brillantes.