Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/188

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mystérieuse discipline. Les détectives pouvaient déjà voir à l’œil nu les taches noires que faisaient les masques sur les figures du premier rang.

Syme et ses compagnons se décidèrent à suivre Ratcliff qui avait déjà gagné le bois et disparu parmi les arbres aux feuillages agités.

La matinée était chaude. En pénétrant dans le bois, ils furent surpris par la fraîcheur de l’ombre, comme des baigneurs qui frissonnent en se jetant à l’eau. Les rayons tremblants du jour, brisés et fragmentés par les arbres, faisaient comme un voile frémissant, dont l’impression trouble rappelait cette sorte d’étourdissement qu’on éprouve devant un cinématographe. Syme avait peine à distinguer ses compagnons, défigurés par les jeux dansants de la lumière et de l’ombre. Tantôt le visage de l’un émergeait d’un clair-obscur à la Rembrandt, tantôt deux mains d’une blancheur éblouissante, qui appartenaient à un homme à tête de nègre. L’ex-marquis avait ramené son chapeau de paille sur ses yeux, et l’ombre projetée du bord partageait si nettement en deux moitiés son visage qu’il semblait porter un masque tout pareil à celui des ennemis. Ce détail produisit sur Syme un effet hors de proportion avec sa cause. Ratcliff portait-il un masque ? Y avait-il quelqu’un qui portât un masque ? Y avait-il quelqu’un seulement ? Ce bois enchanté, où les hommes devenaient tantôt blancs, tantôt noirs, où leurs figures apparaissaient tout à coup en pleine lumière pour tout à coup s’effacer