Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans la nuit, ce chaos de clair-obscur après la pleine clarté de la plaine semblait à Syme un parfait symbole du monde où il vivait depuis trois jours, de ce monde impossible où les gens enlevaient leurs lunettes, leur barbe, leur nez, pour se transformer en de nouveaux personnages. Cette tragique confiance en soi, qui l’avait animé quand il s’était imaginé que le marquis était le Diable, l’abandonnait maintenant qu’il savait que le marquis était un ami. Et il se sentait incapable, après tous ses étonnements, de préciser quelque différence bien nette entre un ami et un ennemi. Existait-il quelque différence appréciable entre n’importe quoi et n’importe quoi ? Le marquis avait enlevé son nez, et c’était maintenant un détective. Ne pourrait-il pas aussi aisément enlever sa tête et apparaître tout à coup sous les espèces d’un revenant ? Tout n’était-il pas à la ressemblance de cette forêt de féerie où la lumière et l’ombre dansaient la sarabande ? Tout ne consistait-il pas en visions rapides, éphémères, toujours imprévues et aussitôt oubliées qu’aperçues ? Gabriel Syme venait de faire, dans cette forêt tachetée de lumières, une découverte que beaucoup de peintres modernes y avaient faite avant lui : il avait trouvé ce que nos modernes nomment l’impressionnisme, c’est-à-dire une des formes innombrables de ce scepticisme radical et final qui ne reconnaît pas de support, de plancher à l’univers.

Ainsi qu’un homme qui, dans un cauchemar,