Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/190

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se débat, essaie de crier, Syme fit un brusque effort pour se débarrasser de cette dernière imagination, la pire de toutes. En deux bonds, il rejoignit l’homme qui portait le chapeau de paille du marquis, l’homme qu’il avait appris à appeler Ratcliff et, très haut, avec une intonation excessivement gaie, il rompit cet infini silence et engagea la conversation :

— Puis-je vous demander où diable nous allons ? demanda-t-il.

L’angoisse dont il avait souffert, était si sincère qu’il éprouva un grand soulagement en entendant une voix naturelle, une voix humaine lui répondre :

— Il faut que nous allions par la ville de Lancy vers la mer. Je crois que, dans cette partie du pays, nos ennemis ont peu de partisans.

— Quoi ! que voulez-vous dire ? s’écria Syme. Il est impossible qu’ils aient un tel empire sur le monde réel. Il n’y a pas beaucoup d’anarchistes parmi les travailleurs, et, s’il y en avait, de simples bandes de révoltés n’auraient pas aisément raison des armées modernes, de la police moderne.

— De simples bandes ! releva Ratcliff avec mépris. Vous parlez des foules et des travailleurs comme s’il pouvait être question d’eux ici. Vous partagez cette illusion idiote que le triomphe de l’anarchie, s’il s’accomplit, sera l’œuvre des pauvres. Pourquoi ? Les pauvres ont été, parfois, des rebelles ; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l’existence d’un gouver-