Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/218

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qu’ils étaient au bout, aussi, de leur histoire.

Ils se retournèrent, face à la ville.

Cette ville ! La révolte l’avait transformée.

Tout le long du quai, c’était un fleuve confus et mugissant d’hommes qui agitaient les bras en dardant vers la mer des yeux ardents. Des torches et des lanternes trouaient, çà et là, cette épaisse ligne sombre. Mais, même sur les figures qu’on ne voyait point, même dans les gestes qu’on pouvait à peine deviner dans le tréfonds des ténèbres, on sentait une haine concertée.

Il était évident que la malédiction universelle s’acharnait sur eux. Mais pourquoi ?

Deux ou trois hommes sautèrent du quai sur le rivage comme ils avaient fait eux-mêmes. On eût dit des singes tant ils paraissaient petits, tant ils étaient agiles et noirs. Ils s’engagèrent sur le sable en poussant des cris horribles et tentèrent de gagner à gué la jetée. Leur exemple fut suivi, et toute la masse hurlante se déversa par-dessus le parapet du quai, comme une noire marmelade.

Parmi les premiers arrivants, Syme reconnut le paysan qui avait mis sa charrette à leur disposition. Il s’élançait dans l’écume, monté sur un grand cheval de trait en brandissant sa hache de bûcheron.

— Les paysans ! s’écria Syme : ils ne s’étaient pas révoltés depuis le moyen âge !

— Même la police, si elle survenait, ne pourrait rien contre cette foule, dit le professeur tristement.