Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/219

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— Folie ! fit Bull désespéré, il y a sûrement encore des êtres humains dans cette ville !

— Non, dit Ratcliff. Le genre humain va disparaître. Nous en sommes les derniers représentants.

— Peut-être, répondit le professeur, d’un air distrait ; puis il ajouta de sa voix rêveuse : comment est-ce donc, la fin de la Dunciade ? Vous rappelez-vous ?… « Tout s’éteint, le feu de la nation comme celui du citoyen. Il ne reste ni le flambeau de l’homme ni l’éclair de Dieu. Voyez, ton noir Empire, Chaos, est restauré. La lumière s’évanouit devant ta parole qui ne crée pas. Ta main, grand Anarque, laisse tomber le rideau et la nuit universelle engloutit tout ! »

— Silence ! cria Bull, voici les gendarmes !

En effet, devant les fenêtres éclairées du poste de police défilaient hâtivement des ombres, et, dans la nuit, on entendait le cliquetis d’une cavalerie disciplinée.

— Ils chargent la foule, continuait Bull, fou de joie, ou peut-être de peur.

— Non, dit Syme, les gendarmes se rangent le long du quai.

Bull se mit à danser :

— Ils ont épaulé leurs carabines ! s’écria-t-il.

— Oui, concéda Ratcliff, pour tirer sur nous.

On entendit une décharge de mousqueterie, et les balles grêlèrent sur les pierres de la jetée.

— Les gendarmes sont avec eux ! fit le professeur en se frappant la tête des deux poings.