Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, lui aussi a déserté, dit le professeur en s’asseyant sur une pierre. Tout est perdu. Je suis perdu. Je n’ai aucune confiance en ma propre personne. Il se pourrait très bien que ma propre main se levât contre moi pour me frapper.

— Quand ma main se lèvera, déclara Syme, c’est un autre que moi qu’elle frappera.

Et il se dirigea le long de la jetée vers le colonel, une épée dans une main, la lanterne dans l’autre.

Comme pour dissiper les dernières espérances ou les derniers doutes, le colonel, dès qu’il l’aperçut, le mit en joue et fit feu de son revolver. La balle manqua Syme, mais frappa son épée qu’elle brisa près de la garde. Syme s’élança en brandissant la lanterne au-dessus de sa tête.

— Judas avant Hérode ! cria-t-il.

Et il abattit le colonel sur les pierres de la jetée.

Puis il se tourna vers le secrétaire, dont la bouche écumait. Il élevait la lanterne dans un geste si étrangement solennel que l’autre, un instant stupéfié, resta immobile et fut forcé de l’écouter.

— Voyez-vous cette lanterne ? cria Syme d’une voix terrible. Voyez-vous la croix qu’elle porte gravée ? Voyez-vous la lampe qu’elle protège ? Vous n’avez pas forgé cette lanterne ! Vous n’avez pas allumé cette lampe ! Ce sont des hommes meilleurs que vous, ce sont des hommes qui savaient croire et obéir qui ont travaillé les entrailles de ce fer,