Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/97

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vont au hasard des pas, fermement attachés aux décences et aux charités du Christianisme. Sa juvénile équipée de policier bénévole, il n’y songeait plus ; il ne se concevait plus lui-même comme le représentant d’une association de gentlemen jouant en amateurs le rôle de détectives ; il avait oublié le vieil original qui vivait dans sa chambre pleine de nuit. Non ! Il était l’ambassadeur de tous ces pauvres gens, honnêtes et vulgaires, qui, par les rues, s’en vont à la bataille de la vie, chaque matin, au son de l’orgue de Barbarie. Et cette grande gloire d’être simplement un homme l’exaltait, sans qu’il pût dire pourquoi ni comment, à une hauteur incommensurable au-dessus des monstres qui l’entouraient. Un instant, du moins, il jugea leur bizarrerie ignoble, du haut de ce point de vue céleste : le lieu commun. Il avait sur eux tous cette inconsciente et élémentaire supériorité d’un brave homme sur des bêtes puissantes, d’un sage sur des erreurs puissantes. Il ne possédait, sans doute, et il le savait bien, ni la force intellectuelle ni la force physique du Président Dimanche ; mais il n’était pas plus sensible à cette infériorité qu’il n’eût regretté de ne pas avoir les muscles du tigre ou l’appendice nasal du rhinocéros. Il oubliait tout devant cette certitude suprême : que Dimanche avait tort et que l’orgue de Barbarie avait raison. Dans sa mémoire chantait le truisme sans réplique et terrible de la Chanson de Roland :

Païens ont tort et Chrétiens ont droit !