Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/41

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paraîtrait une raison admirable pour provoquer un homme), que diable voulez-vous que je fasse ?

— Je veux qu’on lui rive son clou, observa la jeune fille d’un air sombre et vindicatif ; je veux qu’on lui enfonce dans la tête qu’il n’est qu’un ignorant. Il n’a jamais frayé avec des gens bien élevés, cela se voit rien qu’à la manière dont il marche et dont il s’habille. Il me semble que je supporterais tout le reste s’il ne fourrait pas partout cette grande barbe noire hérissée. Mon Dieu ! il serait acceptable sans sa barbe…

— Dois-je comprendre que vous désirez que j’aille le raser bon gré mal gré ?

— Vous êtes sot ! répliqua-t-elle impatiemment. Je veux dire seulement que je voudrais qu’il souhaitât, ne fût-ce qu’un moment, d’être rasé. Je veux lui montrer à quoi ressemblent les gens bien élevés. C’est dans son intérêt. Il pourrait… On pourrait si bien l’éduquer.

— Faut-il qu’il aille à des classes complémentaires ou à une école du soir ? Ou bien peut-être à une école du dimanche ?

— Personne n’apprend rien à l’école, répliqua-t-elle ; je parle du seul endroit où l’on apprenne quelque chose : le monde, la société. Je veux qu’il s’aperçoive qu’il y a des choses bien plus importantes que ses petits partis pris ; je veux qu’il entende les gens causer musique, architecture et histoire, qu’il apprenne toutes ces choses auxquelles s’intéressent les gens instruits. Il s’est monté le cou en déclamant dans les rues et en démolissant la société dans les cabarets de bas étage, bourrant le crâne à des gens encore plus ignorants que lui. Mais qu’il se mêle à des gens réellement cultivés, il est bien assez intelligent pour sentir qu’il n’est qu’un sot.