Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/50

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n’avait jamais éprouvé de honte à regarder quelqu’un en face.

— Ne pensez-vous pas, dit-elle enfin, que nous nous disputons sur un mot ?

— Non je ne le pense pas du tout. Je crois que nous sommes sur les deux rives d’un abîme et que ce petit mot est un gouffre entre les deux moitiés de l’humanité. Si vraiment cela vous intéresse, puis-je vous donner un seul conseil ? Si vous désirez nous faire croire que vous comprenez la situation et que vous désapprouvez cependant la grève, dites tout ce que vous voudrez, sauf cela. Dites qu’il y a un démon parmi les mineurs, dites qu’il y a de la trahison et de l’anarchie parmi les mineurs, dites qu’il y a du blasphème et de la démence parmi les mineurs, mais ne dites pas qu’il y a de l’agitation, car ce seul petit mot révèle ce qui est au fond de votre esprit : la chose est très vieille, et son nom c’est l’esclavage.

— C’est bien extraordinaire, dit M. Wister.

— N’est-ce pas ? dit la maîtresse de maison.

— Non, c’est très simple. Écoutez-moi. Supposez qu’un homme travaille dans votre cave, au lieu de travailler dans votre mine ; supposez que ce soit son métier de casser du charbon toute la journée, et que vous entendiez ses coups de marteau. Nous admettrons qu’il est payé pour cela, nous admettrons même que vous êtes convaincus qu’il est assez payé. Tout de même vous l’entendez cogner tout le long du jour, pendant que vous fumez ou que vous jouez du piano, jusqu’au moment où le bruit cesse brusquement. Il peut avoir tort de s’arrêter, il peut avoir raison ; peu importe. Mais ne voyez-vous pas, rien ne vous fera-t-il voir ce que vous exprimez réellement quand vous dites seulement comme Hamlet à l’ombre de son père : « Repose-toi, esprit inquiet ! »