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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/55

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— Seulement, si vous adoptez cette théorie, continuait Braintree, vous ne pourrez pas vous plaindre que les gens que vous rejetez se considèrent eux-mêmes comme une classe séparée. Et vous pourrez difficilement vous étonner que les ouvriers aient l’esprit de classe.

— Les autres aussi, j’aime à croire, auront droit à avoir l’esprit de classe ? dit Eden avec un sourire.

— Certainement, observa Wister à sa manière conciliante. Comme dit Aristote, « l’aristocrate, c’est le grand homme ».

— Voyons, voyons, dit Braintree avec quelque irritation, je n’ai lu Aristote que dans des traductions à quatre sous, mais je l’ai lu. On dirait que les messieurs comme vous apprennent laborieusement le grec et puis ne se servent jamais de leur science. Aristote, autant que j’ai pu le comprendre, fait de son grand homme un individu assez suffisant ; mais il ne dit nulle part qu’il doive être ce que vous appelez un « aristocrate ».

— C’est exact, dit Eden ; les plus démocrates des Grecs avaient foi en l’esclavage. À mon avis, il y a bien plus à dire en faveur de l’esclavage qu’en faveur de l’aristocratie.

Le syndicaliste approuva avec ardeur et M. Almeric Wister parut plutôt ahuri.

— Du moment qu’il y a des esclaves, répéta Braintree, vous ne pouvez pas les empêcher de se rapprocher et d’avoir leurs points de vue propres sur tout. Vous ne pouvez faire appel aux sentiments civiques de ceux qui ne sont pas citoyens. Eh bien, je suis un de ces esclaves, je sors de la cave au charbon. Je représente ces gens sales, ces larves, ces malappris, je suis l’un d’entre eux ! Aristote lui-même ne pourrait pas me reprocher de parler en leur faveur.