Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/61

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que les deux autres hommes le suivirent instinctivement. Le cocher, dont le nom complet était William Pond, lui emboîta le pas sans l’ombre d’une hésitation ; le démocrate John Braintree, au contraire, le suivit à contre-cœur avec une insouciance affectée. Il n’était ni un prohibitionniste ni un fat, et au cours d’une promenade il aurait bu une chope dans n’importe quelle auberge, le plus simplement du monde. Mais le Dragon Vert était situé sur les confins d’une ville industrielle, et l’endroit où ils entrèrent n’était ni un café, ni un restaurant, ni un salon-bar. C’était une buvette ou un bar public fréquenté par les pauvres. Aussitôt qu’il en franchit le seuil, Braintree comprit qu’il n’avait jamais vu, ni connu cela, au cours de ses quinze années de travail manuel. Ni l’odorat ni la vue n’étaient flattés au premier abord, et on n’était guère tenté de toucher ni de goûter. L’endroit était très chaud, bourré de monde et rempli du tapage assourdissant de gens parlant tous à la fois. Murrel s’était avancé vers le fond de la salle, faisant au passage signe de la tête à plusieurs personnes ; il frappa sur le zinc avec une pièce de cuivre en demandant quatre consommations.

Il commença par échanger quelques mots avec une grosse jeune femme qui avait fait des efforts pour que ses cheveux ressemblassent à une perruque. Ensuite il engagea une discussion interminable avec son plus proche voisin sur les chances que tel ou tel cheval pouvait avoir de gagner d’une longueur ou d’une fraction de longueur. Le débat n’avançait pas très vite vers une conclusion, car il consistait surtout à répéter les prémisses avec une vigueur toujours croissante. Les deux interlocuteurs étaient polis autant qu’irréductibles ; mais leur conversation était quelque peu gênée par les gestes d’un