Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/62

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homme immensément grand, efflanqué et minable, qui se penchait entre eux, parlant tout le temps, dans la bonne intention de préciser le point en litige au silencieux Braintree :

— J’connais un Monsieur quand j’le vois, répétait l’homme efflanqué, et j’y d’mande…… J’y d’mande seulement, comme à un Monsieur ; je connais un Monsieur quand j’le……

— Je ne suis pas un Monsieur, dit le syndicaliste avec quelque amertume.

L’homme efflanqué essaya de se pencher vers lui avec de larges gestes protecteurs, comme pour calmer un enfant grognon.

— Allons, dites pas ça, M’sieur, dites pas ça… Je reconnais bien un vrai Monsieur quand je l’vois et j’vous dis…

Braintree se détourna brusquement et entra en collision avec un matelot couvert de poussière blanche, qui s’excusa avec une amabilité parfaite, et puis cracha sur le sol couvert de sciure de bois.

La nuit s’écoula comme un cauchemar. À John Braintree, elle sembla aussi interminable qu’insensée, et cependant d’une sauvage monotonie. Car Murrel promena son cocher d’omnibus en goguette de bar en bar, ne buvant guère à vrai dire, ne buvant certainement pas moitié de ce qu’un Duc ou un Docteur solitaire aurait bu en face d’un carafon de Porto, mais buvant parmi le bruit, l’odeur du gaz, les discussions sans fin. Quand le sixième cabaret résonna du cri sonore : « On ferme ! » et que les derniers traînards en furent expulsés en désordre, l’infatigable Murrel recommença une tournée toute pareille dans les débits de café, avec la louable intention d’encoura-