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— Ça me va, répliqua Tom. Je ne suis pas d’une espèce commune, vous savez. Je suis le grand Corbeau du Nord, et je porte dans mes veines le sang de deux races. Mon sang ne circule pas comme chez les êtres ordinaires : le sang blanc, en moi, circule d’un côté, le sang ronge de l’autre. Je suis comme une horloge à double mouvement.

— Sans doute ! fit Vander avec impatience.

— Je m’aperçois que vous voulez que je m’en aille, aussi je m’en vas.

Le Corbeau battit des ailes ; mais Calamité, qui ne s’était point fait à ses habitudes, lui conseilla par un grognement significatif de ne pas pousser plus loin ses manifestations accoutumées.

— Voilà un chien diablement drôle, monsieur Iverson ! il ne paraît pas m’avoir en grande amitié ; toujours il m’épie, et il en viendra bientôt à ne pas permettre à mon naturel de se montrer. C’est un coquin de chat sauvage ; ça vaudrait la peine de lui chercher querelle, à ce polisson-là !

En disant ces mots, Tom Slocomb jetait sa carabine sur son épaule et partit aussi tranquillement que si le danger eût été pour lui une lettre morte. On l’eut bientôt perdu de vue. Kenneth le vit s’éloigner avec une certaine contrariété, non qu’il doutât de sa bonne volonté ou de son zèle, mais parce qu’il craignait que l’imprudence du Corbeau ne leur suscitât quelque difficulté. Néanmoins il garda ses appréhensions pour lui et chercha à tromper le temps, en causant avec Florella et Saül. Pendant une demi-heure, rien ne les troubla ; mais alors s’éleva une effroyable clameur, au milieu de laquelle on distinguait les croassements du Corbeau.

— Juste ce que je redoutais ! s’écria Kenneth ; ce hâbleur s’est embarqué dans un nouveau péril.

Saül Vander, qui avait voulu porter la carabine de Nick Whiffles en travers sur le devant de la selle, parut oublier complétement ses blessures. L’excitation rayonna dans ses yeux. Il se dressa sur ses arçons, saisit son arme, se pencha sur l’encolure du cheval, et, lui pressant les flancs avec ses talons, se précipita impétueusement vers l’endroit d’où le cri s’était fait entendre.

Iverson resta donc seul avec Florella. Il se trouva placé dans une position embarrassante. Son audace et son courage l’invitaient à voler au combat ; mais la galanterie lui défendait de quitter la jeune