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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

et vu tout ce qui reste de la florissante Thèbes. Il est impossible de la suivre pas à pas sur une terre si riche de traditions et de souvenirs. Partout où elle allait, elle portait ces dons supérieurs : un goût délicat et un esprit cultivé, de sorte que ses jouissances étaient accrues par une juste appréciation de tout ce qu’elle voyait, et par les souvenirs sans cesse évoqués dans son esprit. C’est ainsi seulement qu’un voyage peut être une source de profit ou de plaisir, de même qu’une nature sensible à l’harmonie apprécie seule tout le charme de la musique.

Il y a des pages délicieuses dans la Grèce et les Grecs. Mlle Bremer sait communiquer à ses lecteurs le vif intérêt qu’elle éprouve pour les lieux décrits par sa plume, et son talent littéraire les fait apparaître devant nous avec tout leur éclat de couleur et leur transparence d’atmosphère. Telle est cette description de Naxos :

« La villa Sommariva est située sur le penchant de la montagne, ou plutôt sur une des nombreuses terrasses qui s’étagent jusqu’à son sommet. Derrière et un peu au-dessus de la villa, un petit groupe de maisons basses, blanchies à la chaux, et une église encore plus blanche ; au-dessus du village, une tour carrée du moyen âge, la tour de Pyrgos. Au-dessus et des deux côtés de notre villa se développe une étendue sans fin de jardins particuliers, séparés par des murs qui disparaissent sous les arbres et les buissons qui y croissent en liberté et avec la merveilleuse luxuriance de la nature abandonnée à elle-même. Les vignes grimpent jusqu’au sommet des grands oliviers, et en retombent en légers festons verts chargés de grappes qui ondulent au vent. Des cyprès élancés montent au milieu des bouquets d’orangers, de figuiers, de grenadiers et de pêchers. D’énormes mûriers, des platanes au vaste ombrage, des bouleaux dominent les haies et les buissons de myrtes, de lauriers et de cactus en fleur. Au milieu de ce jardin féerique, qui occupe toute la partie supérieure de la vallée, s’élèvent çà et là des maisons blanches avec des toits et des balcons décorés, ainsi que de petites tours qui révèlent une origine vénitienne. Autour de la vallée, des montagnes couvertes de pâles bois d’oliviers presque jusqu’à leurs sommets, qui sont arrondis et peu élevés, tracent un vaste circuit. Les plus gros villages, comprenant l’église et une demi-douzaine de maisonnettes, s’élèvent sur les terrasses des collines, entourés d’oliviers encore et de champs cultivés. De nos fenêtres et de nos balcons, ouverts à l’ouest, notre regard s’étend sur toute cette grande