Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/36

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peu de place et peu de temps, n’étaient pas susceptibles de dévier à leur suite le roman anglais, que Walter Scott entraînait alors vers d’autres voies. Jane Austen appartient à cette race d’écrivains chez qui c’est la postérité qui découvre ce qu’ils apportaient à leur génération. Elle eut du succès, fut admirée, mais point immédiatement suivie. Son art n’était pas d’accord avec son temps. Elle écrivit en marge. Pareille destinée devait échoir plus tard à Meredith, et partiellement à Thomas Hardy.

Née en 1775, elle avait à vingt-deux ans fini son meilleur roman (Pride and Prejudice). Cette jeune fille, presque une enfant, n’avait jamais quitté le presbytère natal, jamais eu d’autre milieu que sa famille, d’autre expérience que la vie d’un village. Le fait est caractéristique. Elle n’eut aucune aventure, aucun besoin apparent d’émotions, elle ne se maria point, ne quitta jamais sa famille et la plus calme province, mourut à quarante-deux ans. Ses trois premiers romans : Pride and Prejudice, Sense and Sensibility, Northanger Abbey, étaient écrits avant qu’elle eût vingt-six ans. Elle ne les publia qu’entre trente-quatre et trente-neuf ans. Les trois derniers : Mansfield Park, Emma, Persuasion, sont de la même époque et ne témoignent d’aucun changement sensible dans sa manière. Cette œuvre brève est tout entière pareille à elle-même. Les événements n’y comptent pour rien, la seule aventure est un enlèvement. Tout l’intérêt est dans la peinture et les rapports des caractères. Mais là, Jane Austen est unique. Il importe peu que son univers soit limité. Le monde moral tient dans un village, dans une famille. La fidélité des portraits est indépendante de leur taille. Jane Austen a fondé le réalisme domestique. Jamais, avant ni depuis, la vie de tous les jours n’a, dans un petit