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Page:Chincholle - Dans l’Ombre, 1871.pdf/16

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mon enfant. J’ai bien tardé, mais c’est si dur à dire !… Puis, ma santé était bonne et je te l’avoue, malgré mes quatre-vingts ans, j’espérais vivre quelques petites années encore.

Vivre ! Ah ! le beau mot dont tu sentiras la valeur, quand les pas des garde-malades, les cuillères frappant les tasses, ton mobilier usé et boiteux, ton chien empaillé, sembleront te répéter, comme tout cela le fait à moi : « Tu es trop vieux pour que ta maladie soit longue… » Que c’est donc triste d’avoir à se dire : « J’ai vécu ! » et lorsqu’on a mené ma vie de se demander ce que l’on va devenir !

Jusque-là Henri avait pleuré, balbutiant quelques formules d’espoir, mais baissant la tête comme devant un malheur qu’on a prévu et qu’on ne peut empêcher. En entendant ces derniers mois de son grand-oncle, il leva sur lui des regards étonnés et surpris, et dit :

— Je ne comprends pas.

— Écoute, mon enfant, reprit le vieillard, et, si je t’inspire de la pitié, prie pour moi ; j’en ai besoin… J’ai toujours été riche, tu le sais, tellement riche que je n’ai jamais demandé personne en mariage : C’était à qui m’offrirait une femme. J’étais