Aller au contenu

Page:Chincholle - Dans l’Ombre, 1871.pdf/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 170 —

lente lettre qui jeta le découragement dans son cœur :

— Ainsi voilà, pensa-t-il, à quoi a servi uniquement ce livre auquel j’ai consacré les meilleures années de ma jeunesse ! Faute de l’argent qu’il a coûté et qu’il n’a point rapporté, une pauvre dame se trouve tellement dans l’embarras qu’elle en oublie à quel monde elle appartient !

C’était l’heure du dîner. Il avait faim, mais n’avait plus d’argent. Il passa chez son éditeur, qui ne lui devait naturellement pas un sou ; il lui demanda la permission d’emporter dix exemplaires de son ouvrage, en se disant qu’au moins « cet affreux bouquin » servirait à le nourrir ce soir. Il alla sur les quais, où l’attendait la dernière honte, dont puisse rougir un auteur. Les bouquinistes, auxquels il proposa tour à tour de leur vendre ces dix exemplaires, lui répondirent comme s’ils s’étaient donné le mot : « Des vers ! oh ! mon cher monsieur, nous en sommes inondés… Ah, si c’étaient seulement dix ouvrages différents…. Puis, c’est de cette année-ci… Les clients verraient bien que ça n’a pas eu de succès… Il faut un magasin pour mettre ces choses-là… »

L’un des bouquinistes offrit à Henri