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Page:Chincholle - Dans l’Ombre, 1871.pdf/21

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moi. Vois-tu, le cœur d’un vieux débauché ne vaut pas mieux que son corps !…

Désespéré, ton père prit un métier de fatigue qui le tua ; ta mère était morte en te mettant au monde ; tu restais orphelin ! Je fus bien forcé de t’envoyer dans une pension, d’où tu viens de sortir victorieux. Maintenant, que vas-tu faire ? Te voilà dans la vingt et unième année, deux fois bachelier ; à toi ce monde, à moi l’autre. Ton avenir m’inquiète presque autant que le mien. Je t’ai dit ma vie ; elle me fait honte, et je ne veux pas qu’à mon âge tu rougisses comme moi. Écoute : dans ces derniers temps, quand je passais en revue mes bataillons d’or, il me semblait entendre leur voix perçante me crier : « Nous voulons servir ! »

Ce qui m’a perdu, c’est la fortune. Ésope devait penser d’elle ce qu’il disait de la langue : « Quel bien ! quel mal ! » L’argent peut aider à autant de laides que de belles actions. Un homme de cœur l’emploie à de nobles entreprises ; dans mes mains il ne fut qu’un moyen de débauche jusqu’au jour où il devint une inutilité.

Un garçon de ton âge est si facile à séduire, et la fortune est une courtisane