Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/135

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Songez, Madame, que je m’empresse de vous obéir, lors même que je ne peux le faire qu’aux dépens de mon bonheur ; je dirai plus, malgré la persuasion où je suis, que vous ne désirez mon départ que pour vous sauver le spectacle, toujours pénible, de l’objet de votre injustice.

Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumé à vous respecter pour oser porter de vous un jugement désavantageux, que vous n’êtes gênée par la présence d’un homme qu’il vous est plus facile de punir que de blâmer. Vous m’éloignez de vous comme on détourne ses regards d’un malheureux qu’on ne veut pas secourir.

Mais tandis que l’absence va redoubler mes tourments, à quelle autre qu’à vous puis-je adresser mes plaintes ? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me devenir si nécessaires ? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines ?

Sans doute vous ne serez pas étonnée non plus, qu’avant de partir j’aie à cœur de justifier auprès de vous les sentiments que vous m’avez inspirés ; comme aussi que je ne trouve le courage de m’éloigner qu’en en recevant l’ordre de votre bouche.

Cette double raison me fait vous demander un moment d’entretien. Inutilement voudrions-nous y suppléer par lettres : on écrit des volumes, & l’on explique mal ce qu’un quart d’heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l’accorder : car quelque empressé que je sois de vous obéir, vous savez que madame de Ro-