Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/163

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marqué même une de ces ressources qui ne manquent jamais à l’amour, & dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s’occuper de son amant, & par la crainte de se damner en s’en occupant, elle a imaginé de prier Dieu de le lui faire oublier ; & comme elle renouvelle cette prière à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d’y penser sans cesse.

Avec quelqu’un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-être plus favorable que contraire ; mais le jeune homme est si Céladon, que si nous ne l’aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles, qu’il ne nous laissera pas celui d’effectuer notre projet.

Vous avez bien raison ; c’est dommage, & je suis aussi fâchée que vous qu’il soit le héros de cette aventure ; mais que voulez-vous ? ce qui est fait est fait, & c’est votre faute. J’ai demandé à voir sa réponse[1], elle m’a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d’haleine, pour lui prouver qu’un sentiment involontaire ne peut pas être un crime : comme s’il ne cessait pas d’être involontaire du moment qu’on cesse de le combattre ! Cette idée est si simple, qu’elle est venue même à la petite fille. Il se plaint de son malheur d’une manière assez touchante ; mais sa douleur est si douce & paraît si forte & si sincère, qu’il me semble impossible qu’une femme qui trouve l’occasion de désespérer un homme à ce point, & avec aussi

  1. Cette lettre ne s’est pas retrouvée.