Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/232

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qui s’était passé entre eux. Elle faisait ce récit avec une telle sécurité, qu’elle ne fut pas même troublée par un sourire qui nous prit à tous six en même temps ; & je me souviendrai toujours qu’un de nous ayant voulu, pour s’excuser, feindre de douter de ce qu’elle disait, ou plutôt de ce qu’elle avait l’air de dire, elle répondit gravement qu’à coup sûr nous n’étions aucun aussi bien instruits qu’elle ; & elle ne craignit pas même de s’adresser à Prévan, pour lui demander si elle s’était trompée d’un mot.

J’ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde : mais pour vous, marquise, ne suffisait-il pas qu’il fût joli, très joli, comme vous le dites vous-même ? ou qu’il vous fît une de ces attaques, que vous vous plaisez quelquefois à récompenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvé plaisant de vous rendre par une raison quelconque ? ou… que sais-je ? puis-je deviner les mille & mille caprices qui gouvernent la tête d’une femme, & par qui seuls vous tenez encore à votre sexe ? A présent que vous êtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement : mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc à mon texte, qu’avez-vous voulu dire ?

Si ce n’est qu’un persiflage sur Prévan, outre qu’il est bien long, ce n’était pas vis-à-vis de moi qu’il était utile ; c’est dans le monde qu’il faut lui donner quelque bon ridicule, & je vous renouvelle ma prière à ce sujet.

Ah ! je crois tenir le mot de l’énigme : votre lettre