Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/291

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n’avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contre-temps rendit, comme de raison, ses instances plus vives ; & moi, voyant le moment arrivé, où j’étais à l’abri de toute surprise, après m’être préparée par un long soupir, j’accordai le mot précieux. On annonça, & peu de temps après, j’eus un cercle assez nombreux.

Prévan me demanda de venir le lendemain matin, & j’y consentis ; mais, soigneuse de me défendre, j’ordonnai à ma femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d’où vous savez qu’on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, & ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation, & ayant tous deux le même désir, nous fûmes bientôt d’accord : mais il fallait se défaire de ce spectateur importun ; c’était où je l’attendais.

Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté ; & qu’il fallait regarder comme une espèce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui même laisserait encore des dangers trop grands pour m’y exposer, puisqu’à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d’ajouter que tous ces usages s’étaient établis, parce que jusqu’à ce jour ils ne m’avaient jamais contrariée ; & j’insistai en même temps sur l’impossibilité de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes gens. Il essaya de s’attrister, de